LA PROMESSE D’AMOUR

LIVRE 1

INSTANTS MAGIQUES

ÉROS À MUNICH

UNE RENCONTRE FATIDIQUE

LES REQUINS & LES COUCHEURS

LE MATIN AVEC ÉROS

LES CŒURS OFFERTS

LA PROMESSE D’AMOUR

LA FEMME QUI VALAIT DES MILLIONS

LE CORSET DES CONVENTIONS

LA FÊTE AUX CRUSTACÉS

OSTERIA BAVARIA

LA PARADE NUPTIALE DES PILIERS DE COMPTOIR

LES FRUITS DÉFENDUS

DU CANIVEAU AU PARADIS

LES COULEURS DE LA JOIE

LE POUVOIR DE LA MUSIQUE

LE VOLEUR D’ÂMES

DES PERLES POUR LES POURCEAUX

L’ENFER DU MUSICIEN

L’ADDICTION DES ÂMES

LA TENTATION DE MONSIEUR CŒUR

L’HORREUR DU MATIN

LA MAUVAISE PHOTO

ET MERDE : C’EST LUNDI !

MANNEQUINS FAMÉLIQUES & SALADE DE POMMES DE TERRE

TOUT POUR L’AMOUR !

Nicole Rose est née le 22 juin 1968 à Francfort sur le Main. Écolière, elle était déjà passionnée de littérature. Dès l’âge de onze ans, elle dévorait les livres de la bibliothèque parentale.

Après des études de psychologie et de marketing, elle a commencé une carrière dans les agences publicitaires de Francfort avant de rejoindre le management d’un label de luxe de renommée mondiale.

Aujourd’hui, elle se partage entre sa carrière en entreprise et sa carrière littéraire. Business woman accomplie, elle décline de nombreuses réussites sur la scène internationale. Elle profite de son rare temps libre et de ses nombreux voyages à l’étranger pour écrire sa Sixologie des sens qui débute avec ce livre, La promesse d’amour.

L’auteur réside actuellement à Düsseldorf où elle se ressource et puise l’énergie nécessaire pour conduire ses affaires dans le monde entier et pour travailler à ses livres.

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INSTANTS MAGIQUES

Certains instants illuminent notre cœur comme un éclair illumine le ciel. Illumine l’univers. La terre tremble. Le monde s’arrête de tourner. Tout est différent ! D’une seconde à l’autre, la flèche d’Éros nous catapulte hors des sentiers battus de notre quotidien. Nous prenons place à bord des montagnes russes que sont l’amour, l’envie et le désir.

Après ces instants magiques, rien n’est plus comme avant. Le destin nous défie de suivre l’appel de notre cœur. De placer l’amour au-dessus de tout. Cependant, le destin n’est pas toujours bon pour l‘âme. Quant à Éros, il se révèle souvent être un destructeur violent. L’amour ne séduit parfois que notre propre imagination ! Les rencontres avec Éros et la destinée sont précieuses et extraordinaires. Remplies de beauté et de danger…

Qui n’a jamais ressenti ce désir profond de rencontrer le grand amour, celui avec un grand A ? Qui n’a jamais espéré vivre un jour cet instant magique qui nous pousse à abandonner notre vie banale ? À nous évader dans l’ivresse d’un bonheur comme on n’en voit qu’au cinéma ? Qui ne connaît pas le désir brûlant de délaisser la petitesse du profane pour la perfection de la passion ?

Mais attention aux risques et aux effets secondaires…

En effet, l’amour est une drogue aussi belle que dangereuse. Elle enflamme notre cœur, embrouille nos sens et nous attire dans un labyrinthe de sentiments. Nous ne touchons plus terre. Nous planons dans le ciel au milieu de petits nuages roses. Nous nous enivrons d’un cocktail d’amour et de passion. Nous perdons notre cœur. Et parfois aussi la raison ! Celui qui s’élève retombe d’autant plus bas. Entre l’ascension et la chute, il n’y a souvent qu’un pas. Et cette chute peut nous briser le cœur. Brûler notre âme. Transformer le bien en mal.

Celui qui suit l’appel du destin met sa vie entre des mains inconnues. Il choisit le risque. La romance. Le rock’n’roll. L’autoroute du cœur. Pas les sentiers battus par les traîneurs de savates ! Sa vie, jusqu’alors une esquisse au crayon de papier portant le titre « Et si… », se transforme en un tableau aux couleurs éclatantes, intitulé « J’existe ! »

Mais l’ombre et la lumière sont indissociables.

Faire face au danger signifie que l’on peut en mourir.

Méfie-toi du poison dissimulé dans le carquois d’Éros, il pourrait être mortel…

ÉROS À MUNICH

C’était une chaude soirée de fin d‘été Les desperados de la grande ville peuplaient les brasseries en plein air de Schwabing, un quartier bourgeois de Munich. Ils profitaient des derniers rayons d’un soleil déjà presque automnal en s’informant des ragots de la haute société munichoise. Un nouvel établissement du nom de Salle à bouffer venait d’ouvrir dans la Klemensstraße. Son tenancier était un petit bêcheur charmant, rictus conquérant aux lèvres et cheveux gominés, qui avait été barman au Pick6, le bar à drague numéro un de Munich. Il n’avait pas fallu longtemps à la Salle à bouffer pour s’établir comme le nouveau point de rendez-vous et de parade nuptiale pour le tout Schwabing. Les habitants plutôt bourgeois du quartier y venaient pour échapper au quotidien et pour s’adonner à la drague, à l’alcool et aux diatribes, dont les victimes, présentes ou non, pouvaient être des VIP ou des MIP (moins important people).

Après la troisième bière, le troisième verre de mousseux ou de vin, les regards se faisaient plus audacieux. Plus les commentaires devenaient cinglants, plus ils perdaient en niveau. Les clients cultivés vilipendaient, se disputaient, riaient et en oubliaient de s’inquiéter de leur sort. L’ombre noire de l’inéluctable crise économique n’avait pas non plus épargné un Schwabing pourtant mieux loti que la moyenne. Les visages des Bavarois, pour la plupart gonflés et rougis à force de consommer de la bière et des jarrets de porc, et ceux sympathiquement grassouillets, ou ridés et marqués de la gent féminine, étaient le résultat d’un mélange d’euphorie et d’ennui, de joie et de fadeur, de sympathie et d’apathie, de délectation et de frustration. Le baromètre de l’ambiance montait toujours après le troisième ou quatrième verre et les hommes commençaient à se pavaner pour gagner les faveurs des dames de Schwabing. Au cours de la soirée, la beauté de ces dernières avait radicalement augmenté, proportionnellement au déclin fulgurant de la qualité des conversations. La coiffeuse du quartier ressemblait un peu plus à Elizabeth Taylor après chaque gorgée. Même Gertrude, avec son sévère chignon de secrétaire, rappelait vaguement une Catherine Deneuve un tant soit peu bouffie.

La table des habitués accueillait les poivrots habituels. Tommy Coudetaureau, un colérique rubicond, en relation stable avec l’héritière Nestlein, était le très courtisé payeur de tournée de la table. Il écoutait, avec un mélange de dédain et de recueillement, parler son voisin, un homme âgé et fragile, armé d’une canne, répondant au nom de Heinz Malaupinceau qui en était déjà à sa quatrième vodka. Sa canne gisait au sol. Les mains tremblantes, sa voix nasale se lamentait sur son existence miteuse d’artiste peintre en quête d’un succès quasiment inexistant. Ses esquisses crayonnées au fusain avec une discipline toute prussienne ne trouvaient pas preneur. À côté de lui, Horst Flambeur, le doyen des Casanovas du quartier, roucoulait à en rendre jaloux les pigeons. Play-boy vieillissant aux cheveux blancs, il avait le visage fatigué, mais toujours séduisant d’un noceur à la Gunther Sachs. Il récitait son répertoire à l’oreille de sa proie du soir.

— Je suis aussi moelleux qu’un pudding, charmait-il une brunette jolie, mais ordinaire.

Alexandra Taxeuse exposait tous les soirs sa beauté fade à la Salle à bouffer dans l’espoir d’y rencontrer le grand amour – ou au moins de trouver un porte-monnaie aux crochets duquel elle pourrait passer la soirée. Rosi Pétulante, la coiffeuse du quartier, avait effectivement un petit air d’Elizabeth Taylor. Elle affichait encore une certaine arrogance due à son statut depuis longtemps révolu de belle du quartier. Ainsi, elle observait dédaigneusement sa voisine de gauche, Gertrude Oie. Le double menton de la secrétaire coiffée d’un chignon blond et vieillie avant l’heure, tremblotait alors qu’elle se plaignait de la perte de son emploi. Rosi préféra tourner son regard impertinent sur la rue qu’elle scruta à la recherche d’admirateurs potentiels.

C’est alors qu’apparut au coin de la rue, d’une démarche à la fois souple et titubante, un Casanova tape-à-l’œil vêtu d’un antique costume croisé. Il braillait « Here I go again » d’une voix écorchée de chanteur de rock. La lueur du crépuscule l’entourait d’une aura de bestialité, de m’as-tu-vu et de folie. Ce croisement entre Keith Richards et David Coverdale semblait bien déplacé dans le quartier conservateur de Schwabing. Il jouait de l’air guitare comme si la ruelle était le Royal Albert Hall. Ses lèvres aussi minces qu’un trait de cet Éros sans guitare électrique grimacèrent de dédain lorsqu’il passa en titubant devant la table des habitués. Dans une vague d’étrave digne du grand Zampano, il se dirigea directement vers le distributeur de cigarettes. Une fois armé de quatre paquets flambant neufs de Mannboro extra fortes, il prit place à la table des habitués de la Salle à bouffer. Son visage allongé aux traits prononcés était entouré d’une épaisse couronne de boucles grises partant dans tous les sens, comme s’il s’agissait de cordes de guitare. Vu de près, il ressemblait fortement à une version sur le retour de l’animateur Hugo Egon Balder. Il salua l’assemblée d’un air cynique qui se voulait intellectuel.

— En êtes-vous déjà arrivés à la fange intellectuelle du Bild-Zeitung1 ? demanda-t-il d’un ton sarcastique en s’allumant avidement une clope avant de tirer dessus comme si la cendre était sa seule nourriture. Vous avez de la chance de pouvoir profiter de l’éclat de ma présence. J’avais décidé de passer la soirée dans des sphères plus élevées en compagnie de Platon. Mais je suis tombé en panne de cigarettes.

Il ricana en montrant sa mâchoire à la Iggy Pop et observa l’assemblée en attendant les applaudissements. Les regards des femmes pouvaient être considérés comme admiratifs, mais ceux de ses rivaux masculins étant franchement hostiles.

ClacClacClacClacClacClac, entendit-on soudain résonner sur les vieux pavés inégaux de la Klemensstraße. Les habitués levèrent les yeux, oubliant un instant la bière, le vin et leur conversation. La bouche ouverte, les pupilles dilatées par l’alcool, ils observèrent un étrange spectacle. Une apparition aussi différente d’eux que la nuit l’est du jour tentait de garder son équilibre sur des talons de vingt centimètres en avançant sur les pavés qui n’étaient clairement pas conçus à cet effet.

Cet être vêtu d’une élégante robe noire sortie d’une maison de haute couture semblait venir d’une autre planète. Elle rappelait un peu une star hollywoodienne des années cinquante qui se serait égarée dans le Schwabing provincial.

Elle avançait prudemment pour ne pas se faire prendre au piège des interstices entre les pavés, son joli visage sensuel marqué par l’effort et cou ronné d’une touffe de cinq centimètres de haut de cheveux bruns coiffés à la perfection. Cette lady incarnait l’élégance, la gloire et le glamour. Une impression qui contrastait avec une attitude de rockeuse dévergondée, des lèvres rouges sulfureuses, une banane à la Elvis Presley et des bas résille noirs. Malgré son apparence qui ne passait pas inaperçue, elle avait l’air fragile alors qu’elle se concentrait sur son combat avec les pavés. Elle bravait courageusement les regards curieux des badauds, les yeux fixés sur les dangers que le sol représentait pour ses chevilles, les lèvres rondes de sa jolie bouche affichant une expression légèrement boudeuse. Enfin arrivée de l’autre côté de la rue, elle s’affaissa sur une chaise libre et commanda un verre de sauvignon blanc en souriant de soulagement.

Toute cette attention mettait Nikki Rose mal à l’aise. Elle se sentait la proie des regards et des commentaires de ces Bavarois en rut et de ces bécasses endimanchées. Isolée, en exil dans la tour d’ivoire de son non-conformisme. Mais elle ne pouvait pas non plus rester plus longtemps seule avec les ombres du passé dans son appartement désert. Une fois armée de son sauvignon blanc et de son Blackberry, les jambes habillées de résille croisées avec grâce, elle commença à se sentir plus sûre d’elle. Elle balaya du regard les alentours en sirotant son vin, le petit doigt élégamment levé. On pouvait lire dans ses yeux gris-vert un mélange de soif d’aventure et de timidité malicieuse pendant qu’elle rédigeait en souriant des messages sur son Blackberry. DDDDDDDRRRRRRRRRIIIIIIIIIINNNNNNNNNNG ! La sonnerie de l’appareil interrompit le cours de ses pensées. Elle tressaillit de surprise, comme une rose sauvage frappée par la foudre. Qui pouvait ainsi oser troubler l’intimité magique du moment ?

— Blablablablabla, retentit dans le téléphone une voix américaine pure souche semblant mâcher du chewing-gum.

Erika Weinstein, une collègue américaine du service marketing, tchachait bruyamment en américain dans son oreille sensible. Sans interruption. Au bout de dix minutes, elle finit enfin par comprendre le sujet de ce déluge de paroles. L’Américaine voulait savoir quand le nouveau catalogue d’Armada serait disponible aux États-Unis. Elle lança un regard nostalgique à son verre de sauvignon blanc. Pourquoi le monde était-il rempli de voleurs de temps qui ne se gênaient pas pour parasiter ses états d’âme à cette heure avancée ? Ces dévoreurs d’âmes de la maison Armada n’accordaient de repos à personne ! Sa voix sévère fit office de bouclier contre la fausse amabilité de sa collègue.

— Erika. Je suis en pleine réunion. Je t’envoie un mail demain !

Elle s’était débarrassée de sa collègue new-yorkaise avec élégance, éloquence, et efficacité. Après tout, il n’était plus l’heure de travailler. De plus, elle était en réunion. Avec monsieur sauvignon blanc…

Fascinés, les habitués écoutèrent leur sensationnelle voisine envoyer promener son interlocuteur en quelques mots américains. Elle respirait la culture cosmopolite et l’ambiance internationale. La pleine lune, ce soleil des poivrots, avait remplacé la lumière brillante du jour et baignait d’un éclat laiteux un Schwabing soudain mondain où rien n’est impossible, et où tout peut arriver. Éros avait fait irruption à Schwabing. Égayés, les habitués se laissèrent aller à la fascination de cet instant si particulier. Les hommes découvrirent soudain la beauté de détails que leurs regards bovins n’avaient pas découverte plus tôt. Les reflets de la lune aidant, les femmes à leurs côtés devinrent plus séduisantes. Mais la dame à la table voisine, elle, rayonnait de mille feux. Les regards avides des hommes se posaient de plus en plus souvent sur elle. Comme ensorcelés.

— Quelle femme élégante ! Avez-vous remarqué la forme parfaite de ses articulations ? s’enthousiasma avec le fanatisme d’un jeune amant un Heinz Malaupinceau, pourtant déjà âgé de soixante-dix ans.

Une mystérieuse magie s’était emparée de son visage ridé et marqué par les ans, laissant transparaître celui du garçon qu’il n’avait jamais cessé d’être.

— Ne te fais pas d’illusion, mon vieux. Pierce Brosnan ne va pas tarder à arriver et nous, on restera plantés là comme des vieux schnocks, s’exclama alors la voix de rockeur rauque et éraillée du clone gris cracheur de cendres de Hugo Egon Balder.

Son venin mit brusquement fin à l’ambiance tendre et romantique qui commençait tout juste de naître sous le ciel étoilé de Schwabing. Alexandra Taxeuse, inquiète pour son titre de plus belle femme de la Salle à bouffer, profita de l’occasion pour s’empresser de faire campagne contre mademoiselle Hollywood.

— Je ne vois pas ce que vous trouvez à cette pimbêche drôlement accoutrée avec sa banane raide de laque Elnett qui se la joue glamour à mort, aboyat-elle en déployant tout son charme de jeune fille sage, devenue soudain bien moins sage, à l’intention du mâle dominant aux cheveux gris. Et si nous allions chez toi pour que tu m’expliques mon horoscope ?

Ses yeux étranges, presque incolores, rencontrèrent avec froideur les battements de cils séducteurs des demi-lunes marron en face de lui. L’âme qui s’y cachait n’avait rien de charmant. Les coins de sa bouche fine s’abaissèrent en un rictus de dédain et sa langue pointue siffla pour répandre son venin.

— Baby. On en a déjà parlé. Je ne suis pas l’armée du salut de l’astrologie. Si tu veux que je te donne des conseils sur ta vie et que je te fasse profiter de mes talents d’astrologue, il faut que tu tombes la culotte. Ah ah ah ah ah !

Son rire arrogant résonna dans la ruelle. Le silence qui s’ensuivit, explosif et tendu, fut rompu par Horst Flambeur. Il laissa tomber comme une patate pourrie l’objet de ses tentatives de séduction si pressantes d’il y a quelques minutes à peine. Comme si c’était la peste qui l’avait atteinte, pas une flèche d’Éros.

— T’as raison mon vieux ! Nous ne sommes pas les bons samaritains de cette tapeuse ! Nous attendons des intérêts pour nos bonnes œuvres !

Cette remarque lui valut quelques claques sur la cuisse et un éclat de rire général. Les habitués étaient tous solidaires du sarcasme moqueur du mâle dominant. Même Rosi Pétulante et Gertrude Oie abandonnèrent leur compagne ainsi prise en tenaille. Hugo Egon Balder et le Gunther Sachs des pauvres se firent acclamer comme les héros de la soirée. Ce théâtre de caniveau à la table des habitués de la Salle à bouffer suivit son cours inévitable, bruyant et débauché, ne dépassant pas le niveau intellectuel de Tutti Frutti2

Nikki Rose souriait avec clémence, écoutait et observait le groupe de bons vivants tapageurs à la table voisine.

— Encore un dernier verre, se promit-elle intérieurement.

Elle serait alors prête à retrouver la solitude de son appartement. Un agenda débordant de rendez-vous l’attendait demain dans le bassin à requins qu‘était la maison de couture Armada, qu’elle dirigeait avec style et rigueur dans l’Olympe des marques de luxe. Son âme mélancolique et sentimentale s’envola à la rencontre des cœurs des hommes en rut à la table d’à côté.

— Ne sommes-nous pas tous des enfants à la recherche de l’amour ? philosopha-t-elle, comme apaisée et libérée par le sauvignon blanc.

— Jeune demoiselle, venez donc nous tenir compagnie !!! gronda subitement la voix de Tommy Coudetaureau, fier comme un coq de basse-cour.

Nikki tressaillit. Surprise dans ses pensées et irritée dans son intimité. Le sang lui monta au visage qui brilla alors comme une rose rouge dans la pâle lueur de la lune. À la fois embarrassée et flattée, elle leva son verre dans l’air nocturne.

— Merci beaucoup pour l’invitation, répliqua-t-elle dans un sourire char-mant mais réservé. C’est hélas impossible, seul l’inverse serait convenable.

Ses paroles sans équivoque, prononcées d’une voix douce, s’envolèrent dans le ciel maintenant sombre de la Klemensstraße. La pleine lune éclairait sa table comme un projecteur. Une apparition élégante vêtue d’une petite robe noire, un visage de rose empourpré, le verre de sauvignon blanc dans sa main au petit doigt levé. Un tableau pour l’éternité. Soudain, un éclair zébra le ciel et éclaira la scène pour les dieux.

1 Journal à sensation le plus lu en Allemagne.

2 Émission télévisée dont l’attraction principale était l’apparition de femmes plus que légèrement vêtues.

UNE RENCONTRE FATIDIQUE

La foudre inattendue qui s’abattit sur le ciel assoiffé d’amour avait une seconde cible. Ses zigzags la conduisirent vers la table des habitués à la vitesse de la lumière. Et elle toucha le mâle dominant en plein cœur. Électrisé, le Casanova en costume à fines rayures s’embrasa, renversa sa chaise, cracha des cendres et distribua de l’euphorie à la ronde. Une seconde plus tard, il se tenait devant la table de la rose, éclairée par un projecteur.

— Je ne peux décliner une telle invitation ! déclara-t-il en s’inclinant bien bas.

Elle posa sur ce prétendant sorti de nulle part un regard plein de fatalisme joyeux.

— Charmante demoiselle. C’est un honneur pour moi que d’accepter votre invitation et de vous tenir compagnie ! précisa-t-il son intention.

Nikki Rose poussa un soupir de résignation. Son invitation était en fait une rebuffade déguisée. Mais qu’avait-elle à perdre ? L’homme qui se trouvait soudain devant elle lui semblait bizarrement familier et étranger à la fois. Son visage allongé et distingué, ses tempes grises, son élégant costume finement rayé, son allocution polie surannée… Sa soif d’aventure se réveilla soudain et elle accepta cette rencontre étrange et magique.

Avec un sourire curieux, elle désigna la chaise vide à côté de la sienne en haussant ses sourcils parfaitement épilés jusqu‘à sa touffe de cheveux.

— Que sera, sera… Je vous en prie, prenez place ! dit-elle de sa voix douce sur un ton mystérieux.

Le gentleman qui, vu de près, avait un air gris un peu malsain, s’assit plus vite que l’éclair. Peut-être craignait-il que la dame ne change d’avis.

Son costume trois-pièces finement rayé flottait légèrement autour de son corps d’ascète. Il émanait de lui une odeur indiscutablement masculine. Nikki fronça inconsciemment son nez délicat et posa les yeux sur la table des habitués subitement réduite au silence. Incrédules et assoiffés de sensations, les habitués ne pouvaient détourner leurs regards du spectacle qui s’offrait à eux. Comment leur compagnon de beuverie avait-il réussi à se rapprocher aussi vite de la glamoureuse mademoiselle Hollywood ?

— Je me ferai rockeur dans ma prochaine vie, s’exclama Horst Flambeur.

Une discussion animée s’ensuivit, leur faisant oublier pour un instant la scène se jouant à la table voisine.

De son œil bien entraîné d’icône du style, Nikki avait déjà étudié son interlocuteur des pieds à la tête.

— Qui porte encore de nos jours un costume croisé à fines rayures et s’affuble d’épaulettes monumentales ? tiqua son sens de la mode.

Le prétendant avait un air étrangement suranné, mais en même temps résolument ambitionné. On aurait pu le croire tout droit sorti du Moyen-Âge au lieu de notre époque. Comme pour renforcer cette première impression, il s’empara de sa main pour y simuler un baiser, en lui lançant un regard obséquieux.

— Permettez-moi de me présenter. Mon nom est Woolf Barzokka. Je suis extrêmement honoré d’avoir le privilège de tenir compagnie à une dame aussi ravissante !

Embarrassée, elle rougit à nouveau.

— Ravie de faire votre connaissance, murmura-t-elle, une interrogation dans la voix. Je m’appelle Nikki Rose.

— Que fait une lady aussi élégante dans un tel boui-boui ? Je vous ai observée et j’étais persuadé que Pierce Brosnan allait arriver pour vous emmener à Hollywood !

Ce compliment flatteur eut l’effet voulu. Son désir de plaire et sa coquetterie de femme furent comblés.

— Ah vraiment ? Pierce Brosnan est un bel homme.

Flattée, elle sourit jusqu’aux deux oreilles. Son visage était passé à un rouge vermillon.

— Enfin un prétendant qui m’apprécie à ma juste valeur ! retentit une voix dans son esprit déjà embué par le sauvignon blanc.

— Personne d’autre que vous ne m’amènera où que ce soit ce soir, promit-elle un peu trop précipitamment.

Woolf éclata de rire et découvrit deux rangées de dents exagérément blanches qui brillèrent d’un éclat synthétique sur le ciel nocturne.

— Vous faites de moi l’homme le plus heureux du monde ! Nous devons fêter ça !!! Stefan Létroit ! Champagne !

— Si possible rosé, s’il vous plaît, ajouta-t-elle avec un regard gourmand. De loin, ma boisson préférée, déclara-t-elle quelques instants plus tard, le teint aussi rose que le champagne Ruinhart qui pétillait maintenant dans leurs verres.

— Trinquons à notre magnifique rencontre !

Ils trinquèrent avec un enthousiasme jubilatoire, faisant concurrence aux cloches de l‘église du quartier.